L’INTERVIEW : PHILIPPE MARQUÈS, UN SOMMELIER RÉPUTÉ POUR LES ACCORDS METS ET VINS

sommelier Food - Wine pairing - Philippe Marquès

Exclusive France Tours a construit au fil des années un réseau d’experts passionnés et passionnants, détenteurs du patrimoine français dans toute sa diversité. Marie Tesson, la fondatrice d’Exclusive France Tours, a à cœur de transmettre leur passion à travers une série d’interviews exclusives. Pour démarrer cette jolie déambulation ponctuée de perles rares, Marie a choisi de vous embarquer dans un univers qu’elle chérit particulièrement : le vin.

Quelques mots sur Philippe Marquès : sommelier, fin gastronome, amoureux des vins (et des Bourgogne en particulier) et, avant tout, prodige des accords mets et vins. En effet, Philippe, qui a eu le privilège d’officier dans de grands établissements comme le Prince de Galles et Lucas Carton, est certainement l’un des sommeliers les plus doués sur les accords mets et vins.

Marie Tesson in vineyard founder of Exclusive France Tours

Marie Tesson

Founder

Marie: Qu’est ce qu’un accord mets et vins peut apporter ? Pourquoi est-ce qu’il ne suffit pas de prendre un très bon vin pour accompagner un plat ?

Philippe Marquès:

Un accord mets & vins apporte l’harmonie. Le but de toute association, c’est de résoudre l’équation mathématique mystique : 1 + 1 = 3. Ensemble, c’est mieux, on crée quelque chose de plus grand. Prenez un plat sans sel et goûtez-le. Prenez du sel, goûtez-le. Seuls, ils présentent peu ou pas d’intérêt. Dégustez ensuite un plat qui aura été salé, et là, vous obtenez du plaisir. Bien associer 2 choses ensemble consiste à les magnifier l’une l’autre. C’est vrai en peinture, en musique, en littérature.

Un grand vin ne suffit donc pas pour garantir le succès de l’accord mets et vins. La grandeur du vin n’y changera rien. Par exemple, sur une côte de bœuf, qui a une texture rustique et fibreuse, la délicatesse d’une Romanée Conti ne conviendra pas. Et pourtant, on parle d’une Romanée Conti !

Wine glass red wine serving

Marie: Comment cela fonctionne-t-il ? Comment arrivez-vous à projeter un style de vin qui pourrait sublimer tel ou tel plat ?

Plate with assorted vegetables

Philippe Marquès: Beaucoup de personnes se concentrent de manière spontanée sur les arômes : c’est une erreur. Par exemple, si on pense tarte au citrons et si on raisonne au niveau des arômes, en recherchant un vin qui aurait des arômes similaires, on pourrait penser à Pouilly Fumé – et pourtant l’accord mets vins ne se ferait absolument pas.

La base fondamentale à tout accord mets et vins, c’est la texture. L’idée, c’est de comprendre l’architecture d’un plat : il faut analyser sa mâche, sa densité, son grain. On essaie ensuite de trouver un vin qui aura la même texture que le plat. Prenons par exemple 3 pièces de viande de bœuf :
pour reprendre l’exemple de la côte de bœuf, cette pièce a une structure plutôt granuleuse. Il faudra donc rechercher des vins avec plus d’épaisseur, de mâche que de longueur. Par exemple, on peut partir sur un Hermitage.

 » Le plus important c’est de choisir le vigneron ».

Un onglet a une fibre ferme, une acidité qui lui apporte de la longueur. Le vin qui conviendra à cette pièce de bœuf devra donc avoir une densité dans sa chair et une acidité puisqu’il faut rechercher la longueur plus que l’épaisseur. Donc on pourrait choisir un cabernet franc de Loire.

Enfin, si l’on s’intéresse au filet qui a un grain fin, juteux et très tendre, il faudra rechercher un vin avec de la finesse de la délicatesse. Un Vosne-Romanée conviendra donc parfaitement. Bien évidemment, ceci est à relativiser puisque comme nous le savons, le plus important, avant de choisir une appellation ou un terroir, c’est de choisir le vigneron.

On peut aller très loin lorsqu’on raisonne au niveau de la structure d’un plat. Je voudrais prendre comme exemple le fameux tartare de veau et de langoustine créé par Monsieur Senderens, pour qui j’ai travaillé pendant 10 ans. Avec ce tartare, j’ai toujours eu l’habitude de servir un Pouilly-Fuissé de chez Forest. En fonction du millésime, le chef coupait les morceaux de veau plus ou moins gros : en effet, sur des millésimes froids, qui avaient donc une structure minérale et saline plus marquée, il fallait avoir des morceaux plus gros pour avoir plus de mâche. A l’opposé, sur des millésimes plus solaires, le chef coupait les morceaux de veau plus fins car nous avions moins de structures dans le vin.

Food Wine Pairing Corton Pepper
Marie: Vous venez de mentionner votre expérience avec Monsieur Senderens. Est-ce à cette époque que tout a commencé pour vous au niveau de votre envie de travailler les accords mets et vins ?

Philippe Marquès: Ma passion pour les accords mets et vins avait débuté un peu plus tôt, alors que j’étais sommelier au Mandarin Oriental à Londres. Le directeur de la restauration de l’époque, David Nicholls (à présent Directeur Groupe Food & Beverage du Mandarin Oriental) me laissait carte blanche pour proposer des accords mets et vins. Il m’octroyait une confiance indéfectible. Je me rappelle mon premier accord, qui s’est porté sur une entrée de 3 foies gras cuisinés de 3 façons différentes par le chef du Mandarin Oriental. J’ai voulu travailler sur cette entrée, qui me posait problème : un seul produit mais cuisiné de 3 façons. Donc, pour moi un seul vin ne pouvait pas convenir. J’ai eu alors l’idée de servir cette entrée avec 3 verres de vin à la fois identiques et différents : le Jerez, même origine, même cépage, mais vinifiés différemment. Sur le foie gras mi-cuit, un Jerez Manzanilla, à la robe claire presque transparente, aux arômes de noisette, un peu iodé. Sur le foie gras poêlé, un Jerez Amontillado à la robe brun clair, aux arômes de sucre brun même si on reste sur un vin sec. Et sur le foie gras mariné, un Jerez Oloroso, à la robe noire, au nez puissant, épicé et confit. C’était à la fois très visuel et très parlant en bouche.

Ensuite, lorsque j’ai intégré le restaurant Lucas Carton en 2003, Monsieur Senderens m’a permis de pousser l’expérience à l’extrême : il n’avait aucune limite. Pendant 10 années, je n’ai fait que réfléchir aux accords mets et vins, en sa compagnie. Monsieur Senderens aimait à prendre un vin et à créer le plat qui correspondrait au vin. Ce fut une source d’inspiration incroyable pour moi. Monsieur Senderens avait l’intuition, il parlait des textures comme le fondamental de tout accord mets et vins. Au fil des années, j’ai réussi à formaliser en quelque sorte cette intuition pour la rendre accessible et faire comprendre que 1+1=3.

Ce fut d’autant plus enrichissant que nous avions pour beaucoup de choses la même vision. Par exemple, monsieur Senderens se fichait des étiquettes : il voulait juste un accord réussi. Il faut certes toujours un grand vin pour faire un très bon accord mets et vins, mais il n’y a pas besoin d’avoir une grande étiquette pour le réussir. Souvent, il m’est arrivé de servir un Pouilly-Fuissé à l’aveugle, et certains le prenaient pour un grand cru de Puligny-Montrachet ou de Chassagne-Montrachet. Ce n’est pas la grandeur de l’appellation qui fait la grandeur du vin.

Bottle of Meursault Piment accompanying a meal

« Ce n’est pas la grandeur de l’appellation qui fait la grandeur du vin »

Marie: Votre dernière exploration repose sur l’utilisation de différentes sortes de poivres, soigneusement sélectionnés, pour s’intégrer dans des accords mets & vins. Comment l’outsider « Poivres » est-il rentré dans votre tiercé gagnant ? Pourquoi avoir pensé à cet élément ?

Food wine Pairing Pepper dessert

Philippe Marquès: Tout a commencé avec Monsieur Senderens. En mai 2004, nous travaillions alors sur un accord pour des ormeaux « meunière » accompagnés d’asperges vertes. J’avais sélectionné un vin blanc autrichien, mais, bien que ce fût plaisant, il manquait une dimension. C’est alors que Monsieur Senderens ajouta un poivre bien spécifique, et le plat se réveilla instantanément, c’était bluffant.
À l’époque, nous n’avons pas poussé plus loin : le poivre ne m’intéressait pas plus que cela en soi, et il était encore méconnu. En 2015, alors que je m’installais à mon compte pour ouvrir mon propre bistrot, je réfléchissais à ce que je pouvais faire au niveau des accords mets et vins. C’est alors que j’ai repensé à l’expérience de 2004. J’ai décidé d’explorer cette piste. J’ai rencontré des importateurs de poivre sur Paris, Rouen, Tours. L’un d’entre eux m’a plu et j’ai alors commandé 30 poivres.

J’ai décidé de voir si je pouvais les associer avec un Champagne Grand Cru de la Montagne de Reims de chez Coutier. Je sentais le champagne, sans le déguster, juste au nez, puis le poivre, puis je ressentais le champagne qui me donnait alors son impression « j’aime » ou « je n’aime pas ». Le champagne réagissait positivement ou non au poivre. C’est ainsi que j’ai sélectionné 4 poivres. J’ai alors préparé 4 tranches épaisses de champignons de Paris avec chacune l’un des poivres sélectionnés, et la démonstration fut probante avec 3 poivres : nous avons eu l’impression de déguster 3 champagnes différents, sublimés différemment par les poivres. Ce fut une véritable révélation.

« Le poivre va permettre des accords qui jusque-là étaient impossibles à imaginer »

Le poivre est un facilitateur extraordinaire pour permettre à beaucoup d’accéder à la complexité des accords mets et vins. Un poivre peut transformer un accord entre un plat et un vin. Pour exemple : j’ai servi un jour un cabillaud avec un vin rouge. Le cabillaud et le vin rouge se détruisaient l’un l’autre. Le vin perdait toute sa subtilité, il ne restait que son acidité. En rajoutant le poivre, l’accord était transfiguré : on retrouvait la qualité du vin et du plat.

Le vin choisit le poivre. Deux poivres peuvent paraître très proches si on les goûte seuls, alors que le vin, lui, fera une grosse différence entre chacun. C’est pour cela que j’écoute le vin plus que moi parce que le vin est beaucoup plus subtil et exprime clairement sa préférence ou son désamour. Par exemple, le poivre noir Sarawak de Malaisie conviendra à un Bourgogne rouge mais pas à un Chardonnay, alors qu’avec le poivre noir de Madagascar cela sera l’inverse.

Le poivre va permettre des accords qui jusque-là étaient impossible à imaginer : je m’explique. Au restaurant, si vous êtes 4, vous aurez tendance à commander une bouteille de vin à partager bien que les choix de plats soient différents. Il semble évident que dans ce cas de figure, un même vin ne pourra pas convenir à tous les plats. Eh bien, le bon poivre associé au vin que vous aurez choisi va permettre à chacun d’avoir un accord mets et vins réussi. Et ça c’est révolutionnaire.

Vous êtes toujours au restaurant, et vous avez choisi une noix de Saint-Jacques et un onglet. Vous choisissez une bouteille de vin : un bourgueil. Servez le Bourgueil sur les noix de Saint-Jacques, les 2 se détruisent réciproquement. Par contre, si vous choisissez le bon poivre, vous serez étonnés mais ça marche.
L’association poivre et vin va donc permettre la vulgarisation de la compréhension des accords mets vins.

Cahors wine to accompany a meal

« Le vin choisit le poivre »

 
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Marie: Pourriez-vous nous conseiller quelques accords qui fonctionnent bien ?
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Philippe Marquès: Avec un Bourgogne rouge, on ira sur un poivre noir de Sarawak, un poivre noir de Belem du Brésil ou le poivre noir Wayanad d’Inde.
Pour les Côtes du Rhône sud, on ira sur un poivre rouge de Phu Quoc ou un poivre rouge de Kampot. Si le vin a une forte acidité, on choisira un poivre de Phu Quoc. Si il est mûr, on ira sur un poivre rouge de Kampot. Et plus les vins seront vieux, plus les poivres blancs les magnifieront.
Les vins issus des cépages Cabernet & Cabernet Franc Merlot aiment les poivres blancs ; même dans leur jeunesse.
Certains vins blancs très aromatiques, comme ceux de Savoie ou certains Rhône, peuvent beaucoup aimer les faux poivres style Sechouan vert. On entend par faux poivre toutes les baies qui historiquement ont été appelées des poivres et botaniquement n’en sont pas. Il y a 30 ans, on parlait du poivre de Sechouan. Or, ce n’est pas un poivre, c’est un Zanthoxyllum piperitum. Historiquement, c’est un poivre. Botaniquement, çà n’en est pas un. Donc on appelle cela les faux poivres.
Certains vins blancs de Loire s’accordent parfaitement avec la baie de Timur du Népal.

Pour le plaisir, voici 2 expériences à faire chez soi sans plus attendre.
Posez du foie gras mi-cuit sur une grosse tranche de champignon de Paris, donnez un tour de moulin de poivre noir sauvage de Voatsiperifery de Madagascar et servez un verre de manzanilla.
Enfin, pour ceux qui veulent expérimenter l’étonnement ressenti par Philippe Marques la 1ere fois qu’il a décelé la puissance des poivres dans un accord vineux : dégustez le Champagne Grand cru Ambonnay, à dominante de Pinot Noir de chez Coutier, associé avec 3 poivres.
Le Champagne réagit de manière très distincte à ces 3 poivres :

Avec le poivre rouge de Kampot (Cambodge), le nez du vin, déjà expressif, s’amplifie. Ses notes de fruits confits gagnent en prégnance. En bouche, le Champagne gagne en volume, il apparait plus charnu.
Avec le poivre noir de Kampot, ce joli nez se fait plus discret. Au palais, la structure se resserre et le vin se montre sous un jour plus cristallin, avec une amertume délicate et rafraichissante en finale.
Avec le poivre noir de Penja (Cameroun) le vin, tant au nez qu’en bouche, ressort plus discret, alors que la finale se développe de manière exponentielle.

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